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la griffe du scribe
4 décembre 2011

Entre deux eaux

ENTRE DEUX EAUX


Il y a des années, j'étais un gardon.

L'eau de source était mon air, mon univers.

Je me souviens de m'être sentie mouillée, mouillée par l'eau de ce torrent dans lequel je me sentais si bien et que je connaissais par coeur.
Lorsque je voulais retrouver la source de toutes vies, j'allais dans une enclave, une caverne couverte de mousse...j'adorais cette pierre, et j'effleurais sa mousse avec délectation !
Parfois, j'y entrais timidement, comme pour me faire peur, comme si une créature monstrueuse pouvait en sortir subitement...je finissais toujours par m'y lover, flottant dans ce ventre maternel, à l'abri de tout.


Je me souviens de mésanges aussi. Un nid de mésanges...il me tenait compagnie depuis des mois et j'étais heureuse ! Oui j'étais heureuse, ça j'en suis certaine.


Je n'étais qu'un animal, enfin si l'on peut dire, car moi je ne me sentais ni animal ni humaine, ni végétale. Je savais que j'étais vivante, que l'eau était fraîche, que le soleil lorsqu'il réchauffait mon coin de pierre moussu, mon endroit préféré, me plongeait dans une torpeur jouissive...comme un abandon, une aspiration céleste qui me vidait de mes pensées, de ma fatigue...de tout !

J'étais à ce moment là, une pierre, un caillou, oui à cet instant précis, j'étais effectivement proche du minéral...un gros caillou chaud mais un caillou capable de ressentir le bienfait de cette chaleur revigorante, essentielle, magnifique, euphorique...de l'absynthe en rayons, du bonheur en direct, de coeur à coeur . J'en sortais allanguie, tiède, cotonneuse...mais plus vivante aussi quoiqu'un peu ivre !

Moi et le soleil c'est une histoire d'amour, ça aussi je le sais....une histoire de survie, de vie, d'osmose...un dialogue qui a existé dès le premier rayon sur la première minute de mon existence.
Ma peau et lui se sont compris, aimés, trouvés, nourris l'un de l'autre...

J'étais donc un gardon ou un goujon...je ne sais plus.
Mais comment pourrais je le savoir ? Et quelle importance...un poisson, enfin un être flottant....ce dont je suis certaine c'est que je n'étais pas humaine !

Les humains je les connaissais peu...il y avait bien ces bottes de caoutchouc, ce chapeau, et ces yeux bleus comme l'eau de mon torrent en été, qui venaient s'asseoir parfois près du nid de mésanges.

C'était un humain je crois, il venait sûrement profiter de la quiétude du lieu, peut être était il jaloux de moi...peut être cherchait il le moyen de devenir caillou, mésange, eau douce, mousse ou goujon et échapper à son sort d'humain...je me souviens y avoir pensé...il ne me faisait pas peur...je ne le comprenais pas mais comme il restait immobile, plongeant simplement un fil dans l'eau avec un petit crochet au bout...il n'effrayait personne, ne dérangeait rien...ce fil devait le relier à nous, à moi, à l'essentiel...c'est ce que je pensais.

Il avait l'air triste puis heureux, agité, puis calme...et finissait toujours par s'endormir.

Je me sentais encore plus légère lorsque je le voyais à travers mon eau, ronflant au soleil.

Au fait, je crois bien que j'étais le seul poisson...je ne me souviens pas avoir effleuré le corps d'un autre être vivant, nageant, flottant...l'homme parfois, les mésanges et moi toujours....c'est tout !


C'est possible ça ? Je ne me souviens pas non plus avoir ressenti le besoin de manger, aucun besoin d'ailleurs...et je ne me sentais jamais seule.

Il y a eu oui, je me souviens maintenant, quelque chose qui est venu casser cette quiétude...mais quoi ?
C'est après cela que j'ai commencé à perdre la mémoire...oui...c'est ça...
Ce jour là il y a eu un nouveau crochet au bout d'un fil plongé dans l'eau, mon eau. Il avait remplacé les yeux bleus paisibles...!
Ce crochet là était différent, il paraissait vivant, il sentait bon...ça y est je me souviens j'ai eu faim, son parfum me donnait faim... et j'ai voulu goûter cette petite chose suspendue à ce crochet...un cadeau, une offrande de cet humain aux yeux noirs qui eux, ne dormaient pas !

J'étouffe, j'ai mal, je ne suis plus mouillée, il y a du bruit autour de moi une matière étrange m'enveloppe, ce n'est plus de l'eau, le nid de mésanges me regarde...quelque chose ne va pas !

-"Le coeur flanche madame!"

Qui parle ?... et pourquoi j'ai l'impression de comprendre ?...Mon coeur bat toujours pourtant...

...J'ai seulement du mal à respirer et je ne nage plus....

"-Il n'y a plus d'espoir je suis désolé c'est la fin!"

Mais qui dit ça?...je ne vois plus rien...le soleil est parti, il est mort ?!

"-Oui elle est morte Madame ".

Qui est mort ? morte ? il a dit morte c'est de moi qu'ils parlent...je suis fatiguée, je vais dormir...j'étais un goujon...

-"Elle n'a pas souffert Madame, elle est partie tranquillement, cela fait longtemps que son activité cérébrale est nulle. Aucune pensée, aucun ressenti, aucune douleur ! "

"Merci docteur !"

Aucun ressenti...mais alors pourquoi je sens de l'eau, mais elle est salée!... l'eau salée tombe d'un visage d'être humain...je connais ce visage !...non impossible, je suis un goujon et je plonge...je m'enfonce, il fait froid, rendez moi le soleil, j'ai peur...
Je coule...

Des mots raisonnent...

"-Elle était jeune, pourquoi?"

" Elle a finit de souffrir, je m'occupe de tout pour les obsèques..."

Je ne comprends rien, mais les humains ont envahi mon univers...j'aurais du m'en douter, m'en méfier !
Ils s'éloignent enfin, ou c'est moi qui pars ? Peu importe, je me sens ivre, comme au sortir de ma grotte, mais là, c'est un trou noir inconnu...quelle créature monstrueuse va en sortir ?...j'ai vraiment peur...un peu....froid...si froid...!

Un goujon qui coule c'est idiot...je vais m' échouer sur la rive...mais c'est quoi la rive ?
Les hommes meurent ils aussi ?
Je n'ai jamais été un humain mais un goujon...le soleil revient, il m'éblouit...je n'ai plus mal, ça y est je respire sans respirer...l'eau est pleine de diamants, il y a d'autres goujons, je suis bien...ce n'était qu'un voyage ou un rêve...?
La mousse est douce à mourir, les mésanges sont là plus joyeuses que jamais, il n'y a ni yeux bleus ni yeux noirs, je suis un être flottant à l'abri pour toujours !

J'ai eu peur...que c'est il passé ? Peut importe.
Je suis un goujon,l'eau de source est mon air, mon univers et je suis heureuse.
Oui, de cela j'en suis certaine !

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